Juliette Groz (1899-1953)
Éditeur | : Henri Odesser, photographe, Annecy | N° de carte | : 38 |
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Commune | : Dingy-en-Vuache (74) | Lieu-dit | : Raclaz |
Juliette Groz (1899-1953), maire communiste de Dingy-en-Vuache, photographiée le 1er mai 1945 chez elle à Raclaz d’en Haut, commune de Dingy-en-Vuache, par Henri Odesser (référence Odesser 38). Juliette est interviewée par deux journalistes dont on voit la main de l’un tenant son carnet à gauche de l’image.
Cette belle photo fut publiée dans le journal communiste régional « L'Etincelle », numéro du 15 septembre dans un article où J. Groz explique : « Après quatre mois de mandat, je suis très heureuse de me dire qu'un grand préjugé vient d'être vaincu. Celui de considérer la femme comme devant être écartée de la gestion des affaires publiques ». La photo publiée par le journal est légèrement différente de celle que l'on peut voir ici, J. Groz ayant le visage tourné vers la gauche (mais la position des mains est la même). Cela indique qu'elles furent prises à quelques secondes d'intervalle.
On retrouve également la photo dans le numéro du 22 septembre 1945. Elle illustre un article où Juliette Groz évoque les cantonales à venir, la deuxième élection de l'histoire de France où les femmes pourront voter. Elle y dénonce les trusts et les fascismes. « N'oubliez jamais que c'est l'esprit républicain et la République qui vous ont émancipées » écrit-elle.
Cette femme exceptionnelle a été le sujet de la conférence qu’a donné Philippe Duret le 15 novembre 2003 devant les Saléviens de Paris. Le texte qui suit est paru dans le Bénon n° 43 de janvier 2004.
« Depuis la Révolution, les Groz du hameau de Raclaz exercèrent souvent des responsabilités municipales. Avant guerre, le père de Juliette fut maire SFIO (Section française de l'internationale ouvrière). La tradition affirme que Raclaz était peu pratiquant. Un instituteur aurait influencé plusieurs familles. Lors d'une conférence à Valleiry, l'instituteur de Raclaz polémique avec l'abbé Clavel, fondateur de la démocratie-chrétienne haut-savoyarde. On évoque un groupe d'anticléricaux et le café d'Emile Martinet dit Mile La Platte, ancien cheminot syndicaliste. Cet anticléricalisme déclinait car la guerre de 1914 avait cassé la confiance envers les notables traditionnels. Aux législatives de 1919 les radicaux embourgeoisés furent battus par le courant démocrate-chrétien.
Arrive la guerre de 1939. Jusqu'en 1941 la ligne de démarcation passe sous Raclaz. Dans le journal communiste l'Etincelle (13.10.45), Juliette se souviens : "Je franchissais chaque jour clandestinement la ligne de démarcation pour passer des réfugiés, du courrier, je cachais et hébergeais chez moi des réfractaires et des proscrits, effectuais la liaison entre les réfractaires que l'on m'envoyait de Lyon, de Chambéry, de Saint-Etienne et d'ailleurs, après les premières formations du maquis, de Dingy à Annemasse, à bicyclette et presque toujours la nuit, à la barbe des Boches. Je convoyais moi-même par le train des groupes de "maquisards" de Valleiry à Annemasse".
Aux municipales des 29 avril et 13 mai 1945 le MRP (Mouvement républicain populaire) l'emporte mais il est talonné par le PCF. Celui-ci, bien organisé, auréolé du prestige de la Résistance, multiplie les réunions et les cellules. En Haute-Savoie, le nombre de ses adhérents double. Vers Annemasse ou le Chablais le parti promeut des militantes comme Hélène Givet, Lydie Borez et Mme Vittoz. Des communistes s'activent dans l'UFF (Union des femmes françaises). Le PCF bénéficie aussi de l'inquiétude des paysans qui manquent d'argent pour se moderniser. Une vingtaine de maires PCF est élue (un seul maire communiste avant-guerre). A Dingy sur cent soixante-dix électeurs, cent cinq votent au premier tour. Deux listes se trouvent en compétition, celles de Juliette et de l'ancien maire. Juliette est élue maire. On raconte qu'elle avait un bon niveau d'instruction, qu'elle était célibataire, sans exploitation à charge et qu'elle était autoritaire. Or il fallait quelqu'un d'énergique pour les formalités nécessaires à la reconstruction du hameau de Bloux incendié par les Allemands. Une fois élue, Juliette co-préside l'amicale des élus communistes. En juin 1945, elle participe à une conférence régionale du PCF où on l'applaudit.
Anecdotes : Après son élection, Juliette écrit à des amis : "Je n'ai pas eu le temps d'aller vous voir car je suis devenue maire". Les gens comprirent "mère" et lui envoyèrent un cadeau ! On raconte qu'elle se trouvait à Saint-Julien pour la visite médicale des futurs conscrits qui devaient se déshabiller complètement. Les autres élus étaient gênés. Nous, on n'aurait pas osé, racontaient les femmes.
Encouragée par son parti, Juliette se présente aux cantonales des 23 et 30 septembre 1945. Elle a pour adversaire un radical et Louis Martel, MRP. La campagne est rude. Juliette écrit : "Aux élections municipales du 30 avril, c'est une femme catholique de Dingy qui, le samedi 29 et le dimanche matin 30, malgré un temps affreux, parcourut les différents hameaux de la commune pour engager les femmes catholiques à voter pour ma liste" (13.10.45). On dit que l'Eglise avait de bons rapports avec elle. Au premier tour Juliette obtient 44 % des voix contre 49,8 % à Martel. Elle le devance dans les communes du Vuache. Au second tour elle est battue car les abstentionnistes modérés du premier tour viennent voter. Pour le sous-préfet "le parti radical [...] apparaît comme un corps sclérosé, qui s'éteint faute de s'être renouvelé dans ses cadres et dans sa doctrine". Or, si le PCF a du succès dans le Vuache, c'est justement parce qu'il se comporte comme une sorte de parti radical renouvelé. Il est pour la laïcité mais sans dogmatisme. Tendons la main aux "travailleurs catholiques", "pas d'anticléricalisme ! pas d'anti-laïcisme !" écrit le journal communiste le 24.03.45. Le PCF ne veut pas remettre sur le tapis la question de l'enseignement (27.10.45). Le journal consacre de longs articles à Juliette. Grâce à elle, dit-il, Dingy a obtenu des cars vers Annecy deux fois par semaine. Il décrit son énergie à propos d'un chemin dont les fossés se bouchent : elle obtient des bons, elle trouve des tuyaux. La reconstruction du hameau de Bloux dure longtemps. Un journal raconte : "Bloux eut le privilège d'être adopté par un illustré catholique de Genève, l'Echo Illustré et il en a déjà reçu de grands bienfaits. Le 1er août [1945], le journal venait, une fois de plus, faire une visite à ses protégés et leur apportait tout le petit outillage agricole dont ils avaient besoin. [...] Et au cours de la petite collation qui suivit, et à laquelle prenaient part tous les sinistrés de Bloux, Mlle Gros exprima la reconnaissance de ses administrés" (Le Patriote savoyard, 16.08.45). Extrait de l'Etincelle : "Constitution de l'Association locale des sinistrés du hameau de Blue [sic], rattachée à la Fédération départementale, dont Juliette Groz assure la vice-présidence. [...] Puis la commune n'étant pas "classée", ce furent d'incessantes démarches... Après de vaines démarches auprès de l'Inspection générale de l'Urbanisme à Lyon et appuyée par deux délibérations du conseil municipal, notre amie Juliette Groz se rendit à Paris auprès de notre camarade François Billoux, ministre de la Reconstruction" (26.09.47). "Des fonctionnaires prétendaient qu'il n'y avait pas assez de dégâts, ils pensaient sans doute avoir facilement raison d'une faible femme. Mais ils ne connaissaient pas Juliette Groz !" (12.09.46).
Atteinte d'un cancer, contestée, Juliette ne se représente pas aux municipales d'octobre 1947. Elle meurt en 1953. Elle avait demandé que l'on ne fasse pas de cérémonie religieuse. Son filleul Edmond Marmilloud, démocrate-chrétien, avait vainement tenté de la convaincre. Il paraît qu'à l'inhumation il y eut des drapeaux rouges. Jean Rosay lui succéda à la mairie.
Remerciements à Edmond et Jean-Michel Grandchamp, Madeleine Magnin, Jean Rosay, Louis Vuichard. »
Voir le Bénon n° 43 de janvier 2004.
Collection Odesser.