La Charrière (années 1960)
Éditeur | : J. Cellard, Lyon | N° de carte | : 108 |
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Commune | : Cruseilles (74) | Lieu-dit | : La Charrière |
Cette rue a inspiré des poètes à leurs heures perdues qui se sont armés de leur plume pour lui rendre hommage, « Le Grand Chemin et la Charrière » rédigé par le docteur Henry Bouchet (1873-1946), et les deux poèmes composés par Janine Fournier, « La Charrière » en juillet 1986 (voir ci-dessous) et « La Charrière n’est plus une Rue, c’est un Garage ».
-La Charrière
Notre rue était belle
Bandeau d’ombre et de lumière
Conduisant au clocher.
Elle ne connaissait pas le goudron
Les poules y faisaient des ronds
Que remplissait parfois la pluie.
Bien serrées les maisons
Grimpaient de la nationale à l’église
Elle avait un nom d’hier
Et se prénommait « La Charrière ».
-
Notre rue était gaie
Matin et soir y résonnait l’Angélus
Un voisin tapait sur sa faux
Le facteur parlait sur son vélo
On y venait chercher les journaux.
Elle se trouvait au cœur du bourg
Le garde-champêtre y roulait tambour.
On la décorait de feuillées,
D’oriflammes et de guirlandes
Le jour où le Bon Dieu passait.
-
Notre rue était gourmande.
La bière était fraiche au bistrot
L’eau coulait bonne au bourneau
L’épicier alignait ses bocaux
Et chez lui ça sentait bon
La réglisse, les bonbons
La morue séchée, le pain d’épices.
A côté on y grillait le café
Et nos narines s’émoustillaient
De tous les parfums de juillet.
Notre rue était savante
Sur les fils électriques, les hirondelles
Nous donnaient la pression atmosphérique.
Le docteur et l’apothicaire
Soignaient nos petites misères
Le vieux menuisier séraphique
Dans une musique psychédélique
Fabriquaient des roues, des cercueils,
Et nous humions cette sciure tentante
Comme une farine chaude.
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Notre rue était vivante
La brouette de Gustave ricanait de la roue
Ses vaches bousaient paisiblement
En allant au bassin.
Des femmes descendaient au lavoir
On y suivait les chars de foin
Tous les enfants étaient dehors
On y jouait à tout à rien
Heureux de se trouver de se connaître
Pas loin des parents aux fenêtres.
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Notre rue était terrifiante
Lorsque le monstre l’obstruait
Avec sa bouche incandescente
Et des décharges de buée.
Couverts de sacs, le verre à la main
Des hommes lançaient de joyeux quolibets
A l’accorte femme qui passait.
Dans le brouillard du petit matin
La nuit de l’après-midi
En buvant l’eau-de-vie
On enterrait novembre.
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A tous les enfants de ma rue
A tous ceux qui ont connu
Le marronnier
Le panonceau éclatant du notaire
Les petites épiceries de naguère
La neige qui tombe sous la lumière
Les parties de luge des soirées d’hiver
L’aurore boréale de l’avant-guerre
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A tous ces enfants devenus sages
J’ai voulu offrir cette image.
La Charrière c’était notre jeunesse
Notre vie, notre allégresse
Et ça devient « notre tendresse ».
-Poème de Janine Fournier (juillet 1986)
Collection M. Sublet.
Merci à M.-F. Locatelli.