Marie-Thérèse Hermann, historienne de la Savoie (1925-2015)
Éditeur | : Amateur | N° de carte | : - |
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Commune | : Annecy (74) | Lieu-dit | : Librairie La Procure |
« Marie-Thérèse Hermann nous a quittés. Pendant une quarantaine d’années, elle avait beaucoup écrit sur la Savoie et on la croisait souvent dans les salles de lecture et les colloques. Par ses aïeux cultivateurs et artisans elle vient du Chablais mais déménage souvent parce que son père était gendarme. En 1946 elle épouse le peintre et ingénieur Georges Hermann, d’origine lithuanienne. Son père lui transmet son intérêt pour le passé. Au milieu des années 1960, M.-Th. Hermann a une quarantaine d’années et ses enfants allant à l’école, elle dispose de temps libre. Elle a raconté comment une recherche sur son grand-père paternel la conduisit aux Archives, un panier à provision à la main, « absolument ignorante de l’ivresse qui peut vous saisir au contact des vieux papiers ». Elle évoque les « joies de l’étude, de la connaissance, de l’enrichissement intellectuel et spirituel dans les bibliothèques, les salles d’archives et au contact de tant de personnes devenues des amies ; l’aptitude à s’abstraire du monde environnant pour se plonger dans le passé et essayer de le faire revivre en oubliant pour un temps les chagrins et les peines de la vie ». Faire des recherches historiques apporte du bonheur.
Son œuvre est marquée par la nostalgie d’un monde disparu, celui des petites villes catholiques d’autrefois.
Elle publie beaucoup sur sa famille et sa jeunesse. Une de ses premières recherches l’amène à se pencher sur la fortune laissée par François-Claude Bonnet, mystérieux pirate et « roi de Madagascar », que l’on disait apparenté à sa famille. Elle conclut en félicitant ses ancêtres d’avoir vendu leurs droits à cet héritage car « la bonne soupe nourrit mieux que le beau langage ».
Dans « Les Chansons lumineuses », elle égrène des souvenirs sur sa famille catholique et patriote. Dans un article elle raconte sa scolarité au pensionnat de La Sainte Famille, à Challonges (près de Seyssel) puis à La Roche. Elle y peint les enseignantes, l’emploi du temps, les habits, les repas, les jeux, les prières... Elle évoque les conférences de Joseph Folliet (un catholique moderne) et les projections cinématographiques d’un missionnaire qui alternait films pieux et récréatifs (1938). Elle conclut en disant que « le catéchisme un peu rébarbatif d’autrefois nous faisait comprendre le pourquoi de nos croyances. S’il y avait un peu d’exagération dans ses applications, notre génération en a retiré néanmoins des principes moraux indiscutables que la “catéchèse actuelle” serait bien en peine de maintenir. [...] Cette discipline de l’esprit et du corps que nous avons essayé de transmettre à nos enfants, nous la devons à cette espèce en voie de perdition, ces religieuses d’autrefois ». Dans un autre article elle évoque la Croisade eucharistique des enfants.
Ses vacances se déroulent à Brécorens, un hameau de Perrignier dont elle décrit les chemins. Dans son article elle conclut tristement : « Depuis longtemps les voies vitales de Perrignier et Brécorens ont disparu sous les broussailles ou le béton : le chemin que ma grand’mère suivait, enfant, les sabots attachés autour du cou [...], tout comme ces merveilleux sentiers que l’on empruntait, en bandes joyeuses ».
Dans « L’Architecture et la Vie traditionnelle en Savoie » (1999), elle détaille le cadre de vie d’autrefois. « Bien des changements sont intervenus dans l’architecture de nos campagnes. [...] Des édiles ont fait disparaître ces témoins de notre culture pour les remplacer par des constructions banales. [...] Une espèce d’uniformité règne ». À la fin d’une étude sur les conscrits chablaisiens elle se montre certaine que les soldats d’aujourd’hui (1968) « ne peuvent soutenir la comparaison » avec leurs grands-pères.
Elle publie un livre sur la cuisine savoyarde de sa grand-mère. Elle écrit sur le Genevois de 1880-1914 d’après les cartes postales et la presse locale.
Dans une communication récente (2002) elle dépeint avec rudesse et franchise les Suisses qui considèrent la Savoie comme un territoire colonial. Dans une étude sur Guillaume le Taciturne elle se montre pessimiste sur la construction européenne estimant que « les intérêts économiques et la politique égoïste de certains trublions ou râleurs » (lesquels ?) la rendent « utopique » (2000). La nostalgie provoque parfois un repli sur soi…
M.-Th. Hermann a aussi fait des travaux historiques aussi rigoureux que bien écrits. Elle était membre de plusieurs sociétés d’histoire régionale, travailla comme archiviste à la Florimontane et rédigea la table des matières de la « Revue savoisienne » pour les années 1939-1969. Elle était diplômée de l’EHESS et Plume d’Or 1998 de la Société des Auteurs savoyards. Dans une brochure de la série « L’Histoire en Savoie » elle expose l’histoire du Genevois qui fut jusqu’en 1401 un comté indépendant de la Savoie avant d’en devenir une province. Ailleurs elle étudie le développement industriel de La Roche.
Dans son meilleur livre, elle se penche sur les enfants trouvés au XIXe siècle. Dans l’avant-propos, l’historien Palluel-Guillard loue la « qualité de sa recherche. [...] Grand merci à Marie-Thérèse Hermann d’être allée à la rencontre de tous ces gamins abandonnés ». Un autre historien, Jean-Pierre Peter, évoque la solidité de ses travaux, sa démarche sensible, sa rigueur parfaite de chercheur. « Admirable travail, patient, difficile, exigeant, réussi. [...] Ce livre est magnifiquement vivant ». Dans les premières pages, le lecteur trouvera une bonne description d’Annecy au XIXe siècle. À la fin Marie-Thérèse Hermann conclut : « il m’est arrivé de rester plusieurs mois sans continuer mon dépouillement, tant je prenais à cœur les souffrances de certains êtres défavorisés ». Elle termine en évoquant l’accouchement sous X, la pilule et l’IVG qui diminuent le nombre d’enfants trouvés. »
Article de Philippe Duret publié dans le Bénon n° 90. Photo de Marie-Claire Bussat.
Cette belle photo a été prise en décembre 1980 à la librairie « La Procure » d’Annecy lors de la signature de son ouvrage « Architecture et vie traditionnelle en Savoie » (éditions Berger-Levrault). Le cliché a été publié dans l’édition du « Courrier Savoyard » le 26 déc. 1980 dans le cadre de l’entretien « De l’habitat au... patois ! » entre Marie-Thérèse Hermann et Marie-Claire Bussat.
Voir l'article de presse.
Collection M.-C. Bussat.